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Le Chantier Épistolaire de Michel Jeannès (extrait) :
une lettre adressée à KL LOTH… le 10 janvier 2006


Quelques précisions :

La Mercerie est à la fois et une entité poétique et poïétique et un collectif artistique développant une pratique en contexte.
Co-fondateur et chargé de projets artistiques du collectif, Michel Jeannès développe une "Zone d’intention Poétique" (ZIP) autour du bouton envisagé comme métaphore du lien et "Plus petit objet culturel commun" (PPOCC). Cette Z.I.P., vectorisée par la participation sociale, est génératrice de mises en œuvres les plus diverses : recueils de témoignages écrits, constitution d’une bibliothèque virtuelle, événements, objets, documents vidéos et sonores, installations, expositions, conférences, publications...

"Coudre son histoire à un bouton" :
[…] J'édite des fiches cartonnées, d'une épaisseur et d'une rigidité permettant d'y coudre un bouton, sur lesquelles je demande de "coudre un bouton à l'endroit marqué d'un X et raconter son histoire."

Les fiches sont distribuées à trois foyers de participation potentielle : l'ensemble des habitants de l'immeuble ; un "collège participatif" composé d'artistes, d'amateurs d'art, de responsables de structures, d'amis et de connaissances que j'informe depuis le départ de l'action sur mon travail dans le but de l'inscrire "en temps réel" dans un territoire plus large que l'immeuble comme parmi mes pairs du "milieu de l'art" ; au MAC, sur une table faisant partie de l'installation, les fiches sont mises à disposition du public avec une boîte à boutons, du fil et des aiguilles.
(Michel JEANNÈS, Zone d'intention poétique, Bruxelles, La Lettre volée, 2005, pp. 36-37)


à propos du Chantier épistolaire :

Depuis 1998, quelques six cent fiches participatives "coudre son histoire à un bouton" ont été collectées. Le Chantier épistolaire a été initié en 2005 au cours de la biennale d'art contemporain de Melle ("Vies à vies, portrait de ville"). L'artiste reconsidère chaque témoignage et adresse à son auteur copie de son témoignage. Chaque "accusé de réception" est assorti d'un commentaire personnalisé. Sous-tendu par une intention de réinscription du don dans un espace dialogué et une durée, le Chantier épistolaire réactive la Z.I.P. et valorise les "moindres gestes" initiaux.  


la lettre :

n° T143 Ce bouton appartenait à un vêtement que j’ai réalisé moi-même.
Ce qui entraîne déjà 2 remarques :
•cela est la conséquence des difficultés économiques auxquelles je dois faire face du fait d’avoir voulu faire de l’art (faire soi-même pour que cela coûte moins cher)
• J’ai eu entière maîtrise sur ce vêtement : choix du tissu, de la coupe, et choix des boutons...
J’ai remplacé ce bouton parce qu’il a été éraflé à la suite d’une chute. Cette chute sur un trottoir très dégradé, résulte vraisemblablement de la forte contrariété alors ressentie à devoir effectuer in extrémis une démarche à la demande de mon ancien compagnon, qui avait été trop négligent et étourdi pour l’effectuer lui-même dans les délais.
D’une certaine façon, ce bouton est le témoin d’un déséquilibre des rapports au sein d’un couple, rompu depuis. Cependant, il n’a nullement été conservé en fonction de cette histoire, mais parmi d’innombrables choses que j’ai des réticences à jeter. Peut-être ces choses peuvent-elles encore servir ? CQFD, quoique dans ce cas, le recyclage se soit avéré surprenant. (texte de la fiche remplie par Catherine Loth)


Catherine Loth
[…]
69100 Villeurbanne,


Lyon, le 9 janvier 2006,

Chère Catherine, chère Kl Loth,

J’ai bien reçu huit des neuf cartes postales printed by Carted et te remercie chaleureusement de ces envois, ainsi que des réflexions et mots d’hivers qui les singularisent et les inscrivent dans l’entre-deux du dialogue. 
En synchronie, et résonance sans être totalement en réponse, cette lettre qui s’insère — comme l’amitié — dans le chantier épistolaire ouvert en "Vies à vies". Comme tu le sais, j’ai entrepris de restituer à chaque participant à "coudre son histoire à un bouton", copie de son texte, assortie de commentaire ou réflexion ton sur ton.
Ton témoignage, reçu dès la première édition de fiches, m’apparaît à l’épreuve de "l’expérience de la durée", s’inscrire dans le droit fil de tes actuelles mises en oeuvres liées au sentiment amoureux
Le rapport entre le vêtement, le bouton et la chute m’ont évoqué le "Trébuchet"(1) de Marcel Duchamp, ready-made réalisé à partir de porte-manteaux posés à même le sol et contenant le risque de trébucher.
Cherchant la référence de cette pièce, je me suis aperçu que Duchamp a édité en 1957 et pendant cinq ans — c’est dire aux alentours de notre année de naissance — une série de gilets ready-made rectifiés offerts à ses amis(2). La rectification a consisté à remplacer les boutons par des lettres d’imprimerie formant le prénom de la personne, ce qui limitait les prénoms à cinq lettres et forçait à une lecture à l’envers. 

Pour revenir à ton ouvrage, le bouton offert est carré. Sa mise en rapport avec une histoire d’un couple "ne tournant plus rond" a focalisé mon attention sur le pourquoi du choix de cette forme pour un objet ordinairement circulaire. Il m’est apparu, soumis à l’épreuve de mon hypothèse de "l’œuvre-monogramme" que tu connais pour avoir suivi certaines émissions sur Radio Pluriel l’an dernier, que le carré (la forme géométrique et le mot) pouvait être un analogon de Catherine, prénom quadrisyllabique et donc à quatre côtés. L’altération du r en L dans ta signature d’artiste KL Loth(3) contient aussi un carré au pied de la lettre, formé par les 4 arrêtes données par le double L de KL Loth. EuléKa(4), voici résoLue la Kad-rature/Quadra-Tür du cercle... d’amouradeux : 2 fois 2 L = Catre LL, Jean ôth 2 reste Elle. De l’art d’être soi à y voire double, il y a de quoi tré-, voire quadribucher(5) sur ce rebord de trôt-tout-art(6).

Bien à-mi calmant, dirait un ange prévenant aux abords des étant donnés l’importance de la chute d’eau dans le gaz d’éKLrage. Take care !
Je t’embrasse

Michel

(1) Trébuchet, 1964. Oeuvre reproduite in Francis Nauman, Marcel Duchamp à l’ère de la reproduction mécanisée, Paris, Hazan, 1999, p. 242.
(
2) Gilet pour Teeny, op.cit., pp. 187-188.
(3) Pour peu qu’on majuscule l’l de Kl.
(4) Version grecque quasi-altérée du "CQFD" par toi employé.
(5) Trébucher, Drébucher, Dreibucher, Vierbucher  (Viermal/ (se) faire mal à la réception).
(6) "Trot c’est trop " semblait signifier la chute.… prélude au "chut !" du secret amoureux qui ne jure que par le plus bas ("...car l’on pourrait bien nous surprendre".)

 

Le "nouveau" bouton en place sur la veste en tweed (cousue vers 1987)


Autres textes de Michel Jeannès :
— Chantier épistolaire, lettre à KL Loth
Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme
A propos des cartes postales printed by Carted de Kl Loth

Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme
à propos du concept de slow work énoncé par Kl Loth

Notes pour une sémiologie de l’oeuvre-monogramme
à propos d’une carte postale de KL Loth : « secret » 2005