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Ce texte est la présentation du livre de Marianne Alphant sur Claude Monet. Je l'ai lu en introduction à l'intervention de celle-ci dans le cadre de l'Écrit-Parade à la Bibliothèque de la Part-Dieu (Lyon), le 19 janvier 1994.

Références de l'ouvrage : Marianne ALPHANT, Claude Monet, une vie dans le paysage, Paris, Hazan, coll. 35/37, 1993

Claude Monet : peinture d’extrême séduction... Jamais plus, peut être, ne sera possible l’alliance d’une beauté aussi universellement reconnue aujourd’hui, avec une telle innovation formelle.
Monet, par une démarche radicale, bien que nulle part conceptualisée, fait table rase du passé. Tournant le dos au Louvre et à ses hordes d’apprentis copistes, fuyant les académies renfermées, Monet ouvre un œil neuf sur le paysage et sur la pratique de l’art. La simplicité, désormais est à son comble : une attention extrême tant au motif et à ses conditions d’émergence (la lumière, la couleur) qu’aux composantes physiques de la peinture (la matière, la touche). Désormais, le sujet de la peinture c’est à la fois la peinture... et le mystère de la vision.
“Monet, ce n’est qu’un œil... Mais bon Dieu, quel œil !” disait Cézanne...
Voyeur parfait du paysage, manipulateur de l’artifice séducteur de la peinture, Monet lui-même ne peut qu’être caché. Homme presque invisible, que la lumière souvent évite, quelque chose en lui - constate Marianne Alphant - résiste au récit. L’écrivain relèvera donc le défi.
Si l’apport du travail de l’historien d’art est bien défini, il n’en est pas de même pour tout écrivain écrivant sur l’artiste. Tous deux sont des créateurs, risquant l’affrontement, le rapport de pouvoir, au détriment souvent de l’artiste, mal à l’aise sur le terrain du langage, parfois même muet.
La première tâche de l’écrivain est donc d’inventer la nature de son approche. Marianne Alphant, quant à elle, réussit la gageure de concilier fidélité absolue à l’exactitude historique (ce qui a priori peut sembler fort peu littéraire), avec l’utilisation de l’écriture non comme simple moyen de rédaction, de mise en forme, mais comme outil créateur et dynamique, permettant une acuité inégalée de la perception des faits. À la façon peut être d’un microscope qui permet de découvrir ce qu’ignore l’œil nu...
Si comme le dit Pierre Bourdieu “la critique artistique, qui tient une si grande place dans l’activité des écrivains, est sans doute l’occasion pour eux de découvrir la vérité de leur pratique et de leur projet artistique”, il en découle alors une sensibilité toute particulière aux conditions d’émergence de la création, dont la description et l’analyse détaillées permettent en retour au lecteur l’indispensable situation de l’œuvre dans son contexte.
Marianne Alphant, dans un livre précédent attentive au vécu trahi par la bourre accumulée au fond des poches, s’attache ici aux menus détails composant le quotidien du peintre, les carnets de comptes, les semis à faire, les 2685 lettres, les bulletins météo : le temps qu’il fait et son influence sur l’humeur, la vie mentale... et bien évidemment sur la peinture de paysage.
Enfin, elle s’attache à retrouver la localisation exacte du peintre au travail. Au fait savez-vous combien un tableau est déterminé par un seul point absent du tableau lui-même : le point de vue, l’œil de l’artiste ?
Efficacité de l’écriture, effet de trompe-l’œil : nous voici dans le paysage aux côtés du peintre...
Richesse colorée de l’image mentale suscitée par les descriptions, que rend plus évidente par contraste l’iconographie en noir et blanc voulue par l’éditeur. Effet de trompe l’œil là encore... adéquation au travail de Claude Monet... extrême séduction...

Catherine LOTH
janvier 1994